Tant que battra ton cœur, thriller psychologique

Les premières pages …

Les premières pages de "Tant que battra ton cœur", roman de Marie Grand. Thriller psychologique chez LEA Éditions.
LEA Éditions

Tant que battra ton cœur

Marie Grand – Roman

Il y avait des pas dans la neige.

Les tiens, qui de la maison s’en vont, mesurés, nets, sans bavures, à l’emporte-pièce de tes pieds nus, par l’allée effacée, invisible sous les flocons, jusqu’au portillon du jardin, destination inconnue mais aller simple de tes pieds nus dans la neige immaculée qui brusquement a fondu, emportant tes empreintes quand les miennes partout, rouge sang,
Mademoiselle Escande ?, rouge sang…

– Mademoiselle Escande !

Tirée de mes rêves et de ma cellule ils m’ont offert un café, passé les menottes, vingt-
quatre heures de garde à vue, ça crée des liens.

J’ai repris place sur la chaise qui m’était dévolue avant cette pause, trois heures de récupération, insuffisantes si j’en jugeais les traits tirés du petit homme corpulent m’ayant précédemment interrogée qui, tout de go, attaquait :

– Il ne s’agit pas d’un crime.

Cazal a marqué un temps, puis :

– Vous avez assassiné cet homme, assassiné bien que pour la victime cette nuance fasse peu
de différence, assassiné car il y a eu préméditation, Mademoiselle Escande.

– Eh bien soit, va pour l’assassinat, ai-je approuvé, pas contrariante.

Et pourtant contrarié, Cazal l’est.

Il fronce les sourcils et rentre le menton -ça lui fait un petit paquet de graisse qui roule et se colle contre sa gorge, un petit goitre, ce n’est pas joli mais quelqu’un qui se renfrogne n’est jamais à son avantage-, loin de le satisfaire mes acquiescements faciles, cette reconnaissance des faits si aisée, et ma désinvolture, l’agacent, non seulement j’avouais mais je revendiquais mon acte, j’en assumais la responsabilité et l’abomination, j’étais en pleine possession de mes facultés mentales lors de l’opération Inspecteur, et si c’était à refaire…

Ma mission accomplie je suis rentrée, j’ai ôté mes vêtements maculés, roidis par endroits de croûtes de sang brunâtre, coagulé, et les ai pliés bien proprement bien en évidence -qu’ils n’aillent pas fureter partout, et fouiner, et gratter sus mes ongles, analyser mon ADN qu’ils ne se donnent pas cette peine, ils auront toutes les pièces à conviction, et des aveux complets-, sous le jet de la douche je me suis débarrassée des résidus organiques qui me poissaient des pieds à la tête et, toute dégoulinante, j’ai attrapé une serviette.

Blanche et moelleuse, allongée sur mon lit, exhaussée par l’empilage douillet des oreillers, jouir de l’instant. Qu’il imprègne ma mémoire, la gorge, et je la presserai, goutte à goutte, dans ma geôle, de m’en délivrer le souvenir.

Alors, concentré, ralenti, mon regard s’est posé, attardé sur chaque meuble, chaque objet que toi et moi avions choisi, banales, familières et soudain si étranges, ces choses de ma vie je les voyais, pour la première et dernière fois.

À l’aube je me suis endormie.

Vers midi, claquements de portières et gyrophares, on m’embarquait.

– J’ai attendu que vos limiers m’identifient, Inspecteur.
Peu avant cette caustique entrée en matière marquant le début de l’interrogatoire, je l’avais aperçu par la vitre du bureau, qui buvait un café, et maintenant, comme dans un vrai polar, il me soufflait son haleine de robusta dans le nez :

– Il n’y a plus d’Inspecteurs dans la police…
– Tout fout le camp, ai-je déploré,
– …mais des Officiers de Police Judiciaire.

Une Adjointe (je n’osais plus avancer de grade, puisque la police n’était plus ce qu’elle
était) s’installait à l’ordinateur.

– Veuillez décliner vos nom, prénom, adresse.

– Escande, Anne-Emmanuelle, 10 rue de la Chapelle… Inspecteur.

Le tapotement du clavier s’est interrompu.

– Je note ? a tiqué l’Adjointe, le dernier mot je le note ?

Cazal s’est renfrogné. Petit goitre. Avec deux i, sur lesquels je mettais les points.

Il a posé ses deux mains bien à plat sur le bureau pour me signifier que l’affaire était sérieuse, que chacune de mes paroles pourrait être retenue contre moi, qu’il représentait l’autorité, et qu’elle n’aimait pas qu’on se foute de sa gueule, quand il a vu que je regardais sa main gauche, vu que j’avais vu la trace, incrustée dans sa chair, d’une alliance longtemps portée. Et parce que l’annulaire avait grossi grossi au même rythme que sa bedaine de fonctionnaire, l’anneau nuptial ne faisant plus bijou, mais garrot, il l’avait fallu couper pour libérer le doigt exsangue, ce knacky couronné d’un ongle rongé que Cazal, entrecroisant ses dix pattes de tarentule, dérobe à ma curiosité.

(…)